Dessiner, c'est un mode d'expression naturel pour moi. J'ai constamment un carnet à proximité. J'ai toujours des idées. On est tout le temps en train de se raconter des histoires dans ma famille, rien de mieux pour trouver l'inspiration. Les dessins peuvent raconter des choses incroyables. Il y a des illustrateurs de renom, comme ici en Bretagne avec Mathurin Méheut.
Comment définiriez-vous votre style ?
Je n'ai jamais voulu rester sur ce que je savais faire. J'ai appris sur le tas. Je me bats contre les étiquettes. C'est insupportable, surtout quand on est artiste. Les gens aiment bien en mettre pour identifier plus rapidement. Moi je ne pense pas comme ça, j'ai tendance à essayer, j'aime bien me planter pour comprendre des choses, je ne veux pas avoir de regrets. Représenter seulement des paysages ne m'intéresse pas. Je veux toucher à tout. Et j'aime bien chercher, manier des outils différents, la gouache, le trait, le feutre...
Vous êtes vannetais d'origine. Vous avez maintenant un atelier à Arradon. Malgré vos multiples voyages, vous êtes toujours revenu dans le Morbihan. Pourquoi ?
Je pourrais vivre ailleurs, je ne suis pas chauvin... Mais je reviendrais toujours ici. J'y ai mes amis, la famille. On s'y sent bien. J'ai l'impression d'être chez moi dans le Golfe, ça c'est sûr. J'ai habité un peu partout, dont en Bretagne Nord, et je suis toujours revenu ici. Quand on rentre d'un voyage et qu'on retrouve le Golfe, on se dit : "quel magnifique pays !" Je suis toujours estomaqué par la beauté du coin. Il y a une force créatrice ici, en Bretagne, qui est très forte.
La Bretagne, c'est un terrain de jeu idéal pour un illustrateur ?
Oui, j'ai à coeur de bien représenter la Bretagne, même si j'ai toujours cette peur de mal faire. C'est ma région, je la connais bien, je n'ai pas envie d'en donner une fausse image. J'ai fais plusieurs toiles sur le patrimoine de la région. Ce sont des panneaux sur l'histoire de la Bretagne qui sont exposés en pleine nature, dans le Pays Bigouden. Il y en a par exemple au port du Guilvinec, sur la pêche. C'est un travail qui m'a passionné, car il a fallu aller à la rencontre des anciens.
Dans votre carrière, vous avez illustré de nombreux ouvrages, des romans, aux carnets de voyage. Quelles sont les particularités d'un tel travail ?
Quand j'illustre un texte, je dois m'adapter au style de l'auteur. Il faut apporter ses idées, mais ne pas trop en dire non plus. Maintenant, je me tourne plus vers les albums, où les textes sont plus épurés. L'illustration y a toute sa place. On rebondit sur les mots de l'auteur pour prolonger l'histoire. J'adore aussi faire les couvertures de romans, ou des albums pour un public plus jeune.
Y a-t-il un exercice qui vous plait plus que d'autres ?
Le portrait. C'est quelque chose de très profond. Mais il faut emmagasiner de l'expérience, essayer de se libérer des contraintes techniques. C'est une rencontre, un partage, il y a un sens dans ce que l'on fait. Il faut oser demander aux gens si on peut les dessiner. Ce n'est pas du vol d'image, c'est une rencontre avec les gens.
Illustrer, c'est avant tout rencontrer. C'est pour cela que le voyage a une part prédominante dans votre travail ?
Oui, le fil rouge dans mon travail, c'est le voyage. J'adore rencontrer les auteurs, les personnes que je représente, échanger avec eux. La qualité première d'un artiste pour moi, c'est la curiosité. Et c'est cette curiosité qui m'a amené vers les carnets de voyage. J'ai ainsi été par deux fois en Palestine et en Cisjordanie. On ne sait pas ce qui va se passer, on se laisse aller au fil des jours, au fil des rencontres. On est un peu comme des reporters.
Pourquoi partir en voyage ? Est-ce parce que l'inspiration y est plus forte ?
En Palestine à l'inverse, je voulais faire passer ce que l'on m'a dit là bas, ce que j'avais ressenti. Je reste impressionné par la dignité et le courage de toutes ces belles personnes que j'ai rencontrées. Le portrait prend là-bas une dimension tellement immense, car non seulement les personnes sont fières, émues ou amusées que l’on s’intéresse à elles, à leur histoire, mais elles y voient aussi une reconnaissance de leur existence, de leur identité aux yeux du monde. C'est pour cela qu'avec deux collègues, j'ai réalisé un vrai "carnet de voyage reportage". Le dessin est un passeport universel. Il permet aussi de faire passer un message d'espoir et de paix.
Un message que vous tentez de transmettre, ici, dans les écoles.
Oui, on m'appelle de plus en plus pour parler de mes carnets de voyage. J'ai eu des échanges très intéressants avec les enfants, sur des questions fortes, sur la guerre... Mais le but premier, c'est de parler de mon métier, faire découvrir le quotidien d'un illustrateur. Et très vite, je suis amené à animer des ateliers de peinture avec les écoliers. Les enfants ont l'imaginaire, mais ils n'ont pas les techniques du dessin, donc j'essaye de les aiguiller.
Quels sont vos projets ? Une envie de représenter davantage votre "chez vous" ?
Oui, j'ai un projet de faire quelque chose, sur Vannes ou sur le Golfe. C'est dans un coin de ma tête. Mais je ne sais pas encore sous quelle forme. J'attends le déclic. J'espère aussi faire un livre tout seul, rempli d'illustrations, afin de raconter sans mots.
Qui c'est ?
Bruno Pilorget est né le 9 mars 1957, à Vannes. Il a étudié pendant deux ans à Lorient, à l'Ecole des Beaux Arts. A la recherche les meilleures techniques pour apprendre à peindre et à dessiner, il se lance très vite en autodidacte dans l'illustration de romans, contes et albums chez Gallimard. Il a ainsi mis en image les célèbres Frankenstein et L'étrange cas du docteur Jekyll et de Mr. Hyde. Le carnettiste vannetais, aujourd'hui basé à Arradon, touche aussi aux albums jeunesse et aux carnets de voyage, son oeuvre majeure. Salaam Palestine ! Carnet de Voyage en Terre d’Humanité, retrace ainsi son voyage, par l'illustration, au coeur de la Palestine. Un ouvrage qui lui a valu de nombreux prix. Aujourd'hui, il multiplie les rencontres dans les écoles pour partager son expérience.
Publié dans Le Mensuel du Golfe du Morbihan - Octobre 2014