C'est la terre de mes ancêtres. Nous sommes présents sur l'île depuis des siècles, au moins depuis 1620. Toutes mes racines sont ici. J'y ai construit ma maison pour y passer ma retraite. On a tout sur l'île : la pêche, le moulin, le jardin, les amis, la famille... C'est son côté sauvage qui me plaît beaucoup. On vit presque en autarcie... en dehors de la période des vacances. On se sent un peu agressé l'été par certains touristes qui se croient tout permis.
Malgré tout, vous vous voyez vivre ailleurs ?
Absolument pas. Je suis né ici, j'ai passé toute mon enfance sur l'île. Lorsque je naviguais, j'ai fait environ tous les pays du monde. Il y a de beaux endroits, mais on pense toujours à son île natale. Je ne me voyais pas venir en retraire à un autre endroit qu'ici. Je serais un déraciné si j'étais ailleurs. À l'île d'Arz, à peu près tout le monde m'est familier. Ça me fait plaisir de voir que de nombreuses personnes me reconnaissent. Je ne cherche pas à être célèbre mais je ne baisse pas les yeux non plus, je discute avec les gens.
Vous avez écrit votre dernier roman, Le Cargo assassiné, sur l’île d’Arz. C'est le cas pour tous ?
La plupart de mes livres, je les ai rédigés ici. Mais pour les premiers, je naviguais encore. J'amenais mes documents à bord et j'écrivais quand il faisait beau. J'ai commencé sans savoir ce que ça allait donner, et puis j'ai attrapé le virus. Je suis maintenant rendu à quatorze romans ! Le Cargo Assassiné, je l'ai pondu en quelques mois, chez moi. Je voulais écrire cette histoire depuis des années. Elle retrace le dernier voyage d'un capitaine au long cours, qui fait cap vers l'Angola et qui ignore tout de son armateur, comme souvent. Malheureusement pour lui, son bateau n'arrivera jamais à bon port...
Votre île ne vous a-t-elle pas manqué lorsque vous étiez « à bord » ?
J'ai navigué durant 36-37 ans. J'ai gravi les échelons petit à petit pour devenir commandant, puis capitaine. Quand je fais le bilan, je m'aperçois que j'étais en mer à peu près neuf mois par an, pour seulement trois chez moi. C'est très peu. Dans la famille, tout le monde était marin. Comme me disait souvent mon copain Olivier de Kersauson : « Toi, tu es né le cul dans l'eau salée et le cul dans l'eau bénite ». Mon père et mon grand-père étaient aussi capitaines. Ils partaient parfois pendant plus d'un an. On n'a pas vraiment de vie de famille en faisant ce métier. Mais on s'habitue.
Vous évoquez dans votre livre « la dangerosité du métier de la pêche, un monde mal connu du terrien ». On sent une certaine aigreur...
Mon métier, celui du remorquage de bateaux, de sauvetages en mer, on l'évoque très peu. C'est comme la pêche. C'est un métier très risqué mais il faut qu'il y ait un naufrage pour qu'on en parle. La France, c'est un pays de ploucs (sic), de gens qui ne s'intéressent pas à la mer. Sauf en cas de marée noire, car ça pollue les quelques mètres carrés de leur propriété. C'est malheureux. À l'inverse, pour avoir beaucoup voyagé, je trouve que les Anglais ou les Scandinaves sont beaucoup plus tournés vers la mer. Ici, à part l'émission Thalassa qui essaye d'inverser cette tendance, il n'y a pas grand-chose.
Ce livre retrace également les principales catastrophes maritimes qui ont touché la Bretagne : l'Erika, L'Amoco Cadiz... Pourquoi faire cet inventaire ?
C'était une sorte de rappel, de retour en arrière pour montrer que le monde de la mer n'est pas de tout repos, que le danger est toujours présent. On l'oublie souvent.
Vos romans sont-ils un pur récit de votre expérience en mer ou contiennent-ils aussi des éléments de fiction ?
Le Cargo assassiné est un mélange des deux. C'est un livre de marins, mais accessible à tous. Le lecteur peut se sentir comme immergé dans la peau d'un capitaine. Avoir navigué m'a bien sûr énormément apporté. Pour moi, c'est un plaisir d'écrire pour faire découvrir le monde marin : la pêche, les cargos, et tous les aspects de la mer. Écrire est une passion. En ce moment, je n'écris pas et cela me manque.
On en déduit qu'il y aura un 15e roman...
Oui. Ce sera un policier, encore en rapport avec la mer et dont l'action se passera entre le Havre et Dunkerque. J'ai également en projet d'écrire un livre sur l'île d'Arz. Un peu dans le même genre que le Nombril à Sophie, un roman qui retraçait mon enfance après la guerre. Ça se situera dans les années 30 et ce sera un mélange de vécu et de fiction. Un livre rien que pour me marrer, me faire plaisir, et partager ma vision de l'île.
Qui c'est ?
JEAN BULOT
Né en juillet 1939 sur l'île d'Arz, Jean Bulot a grandi dans une famille de marins. Après avoir étudié au collège jésuite Saint-François Xavier de Vannes, il s'engage lui-même dans la marine en 1957, en tant que jeune marin pilotin sur le Robert L.D. Officier, deuxième lieutenant puis capitaine côtier, il navigue sur les eaux du globe, ne rentrant que rarement sur son île natale. En 1979, il devient commandant du bateau L'Abeille Flandre. À sa barre, il réalise pendant quinze ans près d'une centaine de remorquages et assiste plus de 200 navires en détresse. Une riche carrière couronnée en 1996 par la Légion d'Honneur. En 1994, il prend sa retraite et s'adonne à sa deuxième passion : l'écriture. De retour sur l'île d'Arz, il contribue également à la restauration du moulin du Berno.
Publié dans Le Mensuel du Golfe du Morbihan - Septembre 2014